Extraits de l'Annuaire de L'Yonne de 1846 par LE MAISTRE
(Ouvrage disponible en consultation dans la bibliothèque des archives départementales d'Auxerre)
Depuis que l'abbaye est en commandite, les différents abbés successifs n'ont plus qu'une fonction secondaire. Et la plupart , presque toujours absents à cause d'autres fonctions, ne pensent qu'à augmenter leurs droits et revenus et réduire la part déjà bien petite destinée au curé et à l'entretien du monastère.
Une exception, l'abbé François de Clermont-Tonnerre, évêque de Noyon, conseiller du roi et l'un des quarante de l'Académie française qui ramène l'ordre, la discipline, l'obéissance et la piété dans le couvent. Il introduisit cette maison dans la congrégation de Saint-Maur, le 23 février 1667. Il fit également réparer une grande partie des bâtiments.
Une déclaration du roi du mois de février 1686 attribuait aux curés une portion-congrue d'au moins 300 livres d'argent. A cette époque le curé primitif de Molosmes était l'abbé François de Clermont-Tonnerre, mais celui qui avait charge de ses ouailles était Claude Ravary.
Tous deux avaient compris qu'une portion congrue tout en argent ne serait bientôt plus en rapport avec des besoins toujours croissants. Par conséquent, la part du curé devait être stipulée en grains dont la valeur vénale suivrait inévitablement le cours des autres denrées marchandes.
Le successeur de François de Clermont-Tonnerre, l'abbé Morel également aumônier du roi, conseiller au parlement, chanoine de Paris, abbé de Chéry, etc… ne fera pas preuve de désintéressement.
En 1720, une contestation s'élève entre les habitants de Saint-Martin et lui, pour les réparations du chœur de l'église. A l'époque, l'entretien du chœur des église était à la charge des seigneurs ; celui de la nef et du reste du temple, à la charge de la communauté des manants et habitants. Néanmoins, l'abbé Morel discute en personne et obtient le 14 septembre que les habitants fourniront les charrois et la tuile ; l'abbé paie la main d'œuvre et les autres matériaux. Quatre-vingt dix neuf habitants avaient fait acte de comparution à ce traité, mais aucun d'eux n'avait alors su signer !
Des procès-verbaux avaient constaté, en 1731 et 1732, que cet avide abbé n'avait point fait faire les réparations à la charge de sa mense, ni fourni les ornements. Il emporta même à Paris et y perdit ce qui pouvait rester des anciennes archives.
François Benigne du Trousset d'Héricourt, son successeur fut tout aussi indifférent pour le bien-être de l'abbaye. Les ruines se multipliaient à l'intérieur du monastère et dans les dépendances.
Le chapitre du mois de mars 1741 autorisa des poursuites contre M. de la Michaudière, président au grand conseil, héritier de l'abbé Morel, et contre M. d'Héricourt lui-même. Les dettes de l'abbaye étaient si importantes que Dom Marchand, visiteur de la province, autorisa un emprunt de 4 000 livres.
Enfin le traité du 21 mars 1746 établit distinctement la part de l'abbé et celle du couvent. Les portions congrues étaient au compte de l'abbé.
Mais voici venir les fermiers généraux qui réclament 17 000 livres pour l'amortissement et les droits de ce traité ! Après moult négociations qui n'aboutiront pas, le 20 octobre 1780, l'abbé Tranquille du Quaylar refuse de se conformer à la transaction du 21 mars 1746. Il faut invoquer la justice contre les prétentions exagérées de ce dernier des abbés de Molosmes.
D'après les constitutions de Saint-Maur, et même depuis l'établissement de la commandite, les prieurs claustraux remplaçaient les abbés, dirigeaient la communauté, gouvernaient les religieux et maintenaient la discipline. Ils tenaient le pouvoir du chapitre général qui s'assemblait tous les trois ans, le jeudi qui suit le quatrième dimanche après Pâques. Le supérieur général, en faisant cette convocation, indiquait l'époque de la tenue de la diète provinciale, ou devaient se trouver le visiteur de la province, le supérieur de chaque monastère et un élu nommé conventuel. Chaque diète provincial devait élire pour le chapitre général six députés, dont trois supérieurs et trois conventuels. Ainsi, chaque couvent, chaque religieux se trouvait représenté au chapitre général.
Dans le chapitre général de 1733, quatorze députés avaient prétendu faire la majorité contre dix-sept autres. Cette minorité facétieuse avait élu D. Philibert Valletat pour prieur de Molosmes. Les religieux protestèrent mais finirent par se soumettre. En 1736, le prieur intrus ayant convoqué le chapitre pour l'élection du conventuel, qui devait l'accompagner à la diète provinciale, les religieux, se fondant sur ce qu'ils appelaient le brigandage de Marmoutiers (couvent où s'était tenu le dernier chapitre général), refusèrent toute participation à la tenue du futur chapitre.
L'abbaye de Molosmes, réunie en chapitre le 30 mars 1766, redoute et déplore la réforme qui vise à changer les règles de gestion des établissement religieux.
Il ne s'agissait rien moins que de le supprimer et de le réunir à Saint-Michel de Tonnerre. Toute abbaye qui ne pouvait pas supporter la conventualité de dix religieux devait être fermée. Un édit du 3 avril 1767, sursit en ce qui concerne Molosmes et quelques autres établissements. En effet l'abbaye de Molosmes se trouvait momentanément dans un état de prospérité.
Plus tard elle s'endetta, notamment avec des emprunts clandestins à M. le curé Lesecq de Commissey et l'hôpital de Noyers, qui furent régularisés par la suite.
De nouvelles contestations s'élevèrent en 1781. Elles étaient la preuve de l'affaiblissement de la subordination, et manifestaient dans le sein de la concrégation les germes de désordre et de ruine, qui se développaient dans toute la société. La canonicité de divers chapitres généraux fut attaquée. En 1788, tous les religieux se rendirent le 16 juin, à la diète provinciale de Sainte-Colombe-lez-Sens. Néanmoins, Louis XVI dut recourir au pape. La question n'était pas jugée que l'ordre n'existait plus !
Les religieux virent avec un amer chagrin s'ouvrir devant eux les portes de la communauté. La liberté ! Ils ne la connaissaient pas ; ils ne pouvaient ni l'envier, ni la désirer. Force fut d'obéir à la loi. Cependant une toute autre servitude se préparait pour eux. Leur costume, leurs prières, leurs travaux, leurs recherches historiques étaient une cause de suspicion dans cette société nouvelle. Plusieurs d'entre eux, pour éviter les arrêts sanglants des tribunaux, durent chercher sur une terre étrangère, l'hospitalité que leur refusait leur patrie.
Une pension insuffisante, et bientôt réduite à son tiers, fut accordée comme faveur à ces infortunés. Leur livres leur furent enlevés, et dans le mois de mars 1791, en vendant ces riches domaines, la nation avait complété la destruction de cette abbaye, qui comptait une durée de treize siècles.